Journal de Marthe Robin

Introduction

 

        Marthe Robin est née en 1902. Les premiers symptômes d'une maladie grave apparaissent alors qu'elle est âgée de 16 ans. Vers l’âge de 20 ans, elle a souhaité entrer au Carmel et est gratifiée de visions de la Sainte Vierge. A 23 ans, en 1925, elle fait acte d’«abandon et offrande à l’amour et à la volonté de Dieu». A 25 ans, elle est alitée définitivement. L’année suivante, en 1928, a lieu dans la paroisse une mission prêchée par des capucins qui l’encouragent à ouvrir ses expériences spirituelles par des lectures. Elle a d’abord son missel dont elle se nourrit et tire de nombreuses réminiscences (textes de l’Ecriture, textes de la liturgie, hymnes, cantiques, prières). Elle-même écrit combien cette source reste privilégiée pour elle: «Tout à l’heure je pensais, répondant dans mon cœur à la question d’une amie qui me demandait quelles étaient les pensées que j’aimais le mieux... [...] Je sais qu’il y en a de très belles, mais j’ose affirmer, [...] d’une façon générale, que celles que je préfère à toutes, même aux plus belles, ce sont les pensées évangéliques, la Sainte Ecriture, la sainte liturgie et les belles prières de l’Eglise!» Elle dispose aussi de lectures fournies par des amies, de la bibliothèque paroissiale et de revues, comme par exemple La vie spirituelle. Marthe a alors 26 ans.

        Le Père Faure, curé de Châteauneuf de Galaure, devient le père spirituel de Marthe qui le lui demande en décembre 1928. En 1929, Marthe a 27 ans. Elle se met à rédiger son Journal . Elle le poursuivra jusqu’à l’âge de 30 ans. Ce sont, depuis la mission paroissiale des capucins de 19281, trois années fondatrices de sa vie spirituelle. Pour ne pas se laisser abattre par sa maladie, elle lit beaucoup ou se fait lire. Elle écrit, ou dicte lorsque la maladie lui fait perdre l’usage de ses mains. Ce Journal est écrit de 1929 à 19322.

        De 1933 à 1938, Marthe a dans le Père Faure un témoin de ses expériences de passion qui prennent le relais du Journal. Le Père Faure consigne mot à mot, sur de petits carnets, les paroles de Marthe qu'il comprend pendant qu'elle vit la passion le vendredi3. Le Journal de Marthe et les Carnets du Père Faure sont donc deux excellents échos (interne et externe) de la vie spirituelle de Marthe durant ces années qui précèdent la première venue du Père Finet auprès de Marthe en 1936.

        Le Journal a été retrouvé après la mort de Marthe. Il a été rédigé successivement par elle-même et par d’autres personnes sur trois petits cahiers. De l’un à l’autre, on peut suivre le chemin spirituel accompli par Marthe à travers ses lectures et sous la conduite de son père spirituel qui écrit l’essentiel du second cahier4.

        Durant cette même période, entre fin 1931 et début 1932, Marthe, qui va sur ses 30 ans, connaît les premiers stigmates: «Que Jésus m’a donc aimée aujourd’hui!... L’étreinte a été si forte, sanglante un peu même. L’Epoux pare sa petite victime de ses blessures d’amour.» (27 septembre 1931). Il en est encore fait mention en début 1932: «Cette véritable configuration en la ressemblance du sacrifice de Jésus crucifié, qui s’est faite par un mystique embrasement de l’amour divin, me laisse fort heureusement sans marques extérieures... Vive Marie!... Cest à sa médiation toute maternelle que je dois cette fois encore de ne garder aucune marque apparente.» (26 janvier 1932)

        Depuis ces premiers stigmates, à la simple lecture du Journal, on remarque une abondance de textes (36 pages du Journal depuis ce jour et dans le mois suivant) ainsi qu'un approfondissement de la pensée. Les références à ses guides spirituels deviennent plus importantes. Le troisième cahier est de ce point de vue symptomatique: les réminiscences d’auteurs mystiques y abondent. Ceci peut peut-être s’expliquer: au début du Journal, Marthe parle de ses expériences mystiques en tentant de préciser si ce sont des «intuitions intérieures» ou de «claires visions» ou «par voie de communication». On sent une incertitude et une grande prudence. Mais avec les stigmates, la certitude d’être l’objet de prévenances divines doit se préciser et en même temps l’interroger. Elle a besoin de confirmer ses intuitions en s’adossant aux écrits des autres mystiques. Bientôt, en 1935, juste avant la rencontre avec le Père Finet, Marthe sera heureuse d'appuyer ses propres expériences de la passion sur celles de son "aînée" en lisant les récits de Catherine Emmerich/Brentano; d'autant plus que les récits de son "aînée" lui donnent accès non seulement à une aînée dans la stigmatisation, mais aussi à l'environnement archéologique des passions, si précieux pour les mystiques soucieux de cadrer leurs expériences dans le réel. Elle s'en nourrira avec un grand souci d'exactitude. Il restera aux chercheurs à préciser tout ceci1.

        Avec les Carnets du Père Faure et le Journal, nous avons le socle fondamental de la spiritualité de Marthe. Pourtant, nous avons commencé les éditions des ouvrages de Marthe par le cahier appelé: Préparation de la Pâque2. Voulant éditer le récit de la Passion, qui est le grand ouvrage de Marthe, il convenait de commencer avec cette Préparation de la Pâque, qui ouvre La douloureuse Passion de Notre-Seigneur Jésus Christ. C’était un peu un défi, car la méditation de Marthe a connu deux rédactions. Une première version commencée en 1935 – quand Marthe a 33 ans et prend connaissance du récit de son "aînée", Catherine Emmerich, rédigé par Brentano. Sa méditation en a été améliorée et augmentée. Il en résulte deux exemplaires du récit de la Passion, finalement coiffés, en début 1941, par le récit du Jeudi saint, Préparation de la Pâque1.

        La grande question soulevée par le récit de la Passion était la part non négligeable chez Marthe des réminiscences de son "aînée". Nous ne connaissions pas suffisamment la personnalité de Marthe, les Carnets du Père Faure n’étant pas encore édités. Nous en étions réduits à analyser comment Marthe se situait vis-à-vis de ses deux sources principales: la Passion dans les Evangiles et le récit de Emmerich / Brentano. Nous avons alors, dans les marges de droite, mis en évidence le travail fourni par Marthe sur l’Ecriture, et dans les marges de gauche, le travail à partir de Emmerich / Brentano. Marthe, soucieuse d’étoffer le paysage des passions qu’elle vivait, restait fidèle au cadre archéologique fourni par Brentano à Catherine Emmerich. Comme Catherine Emmerich, elle suit ce cadre narratif reconstitué par l’archéologie de l’époque, presque toujours pas à pas (même dans ses erreurs). Elle arrange des extraits à sa manière et s’en éloigne pour revenir à l’Ecriture, quand sa mémoire – ou son intérêt pour le détail – lui fait défaut. Autrement dit, elle recompose ses réminiscences dans un cadre globalement respecté. C’est un véritable travail d’auteur.

        Avec le Journal, la tâche est devenue incomparablement plus facile. Marthe ne connaît pas encore Emmerich / Brentano et sa personnalité d’auteur y ressort magnifiquement. Certes, depuis la mission paroissiale de 1928, on lui a recommandé de lire et elle a obéi. Elle a beaucoup lu. Mais elle a tellement bien intégré ses lectures, le missel, la bibliothèque paroissiale ou l’air du temps, qu’il arrive souvent que l’on en reconnaisse des expressions sans savoir exactement quelle en est la source. Pour ne prendre qu’un exemple: il arrive que l’on flaire une expression d’Elisabeth de la Trinité. Un jour, on a demandé à Marthe si elle connaissait la prière d'Elisabeth de la Trinité «Ô mon Dieu, Trinité que j'adore» quand elle a composé sa prière «Ô Mère bien-aimée». Elle a répondu qu’à ce moment-là, elle ne la connaissait pas. Ces réminiscences abondent dans le Journal, surtout dans le troisième cahier, même si les emprunts caractérisés sont rares. Quand vous empruntez, vous rendez en l’état ce qui est emprunté. Cela n’arrive que très rarement chez Marthe (six ou sept fois dans le Journal1, comme on recopierait une fiche de lecture pour son usage personnel). Toujours, elle retravaille ce qu’elle a mémorisé. On parle alors de «réminiscences». Le Journal est à 90% du «bien propre» de Marthe dans les deux premiers cahiers et un peu moins dans le troisième. Nous en proposerons une explication.

 

Bref rappel de la personnalité spirituelle de Marthe dans les Carnets du Père Faure2:

 

        Les prises de notes du Père Faure durant les passions de Marthe ont permis d'accéder aux expressions semi-conscientes de ce que Marthe vit le vendredi. Quelques thèmes ont pu être mis en évidence, qui nous révèlent le cœur de ses expériences. Marthe reprend à son compte les paroles de Jésus lors de sa Passion, comme si c'était elle qui les vivait et les disait.

        Elle se sait unie, et le dit de multiples façons, au mystère rédempteur de la Croix, et unie à la Vierge Marie:

Son sang est porté par l'ange à la Vierge Marie, qui le porte à Jésus, qui le porte au Père: c'est un même calice. Carnets du Père Faure (CF) p.153.

«Retrouvez en moi votre Fils bien-aimé» (CF p.87).

 

        Elle s'approprie les paroles de la Croix:

«Pourquoi m'avez-vous abandonnée?» (très fréquent).

«J'ai soif!» (CF p.41; p.45; p.93; p.97-98; p.100; p.132; p.147; p.154).

«Je remets mon âme entre vos mains» (très fréquent).

«Pardonne-leur, ils ne savent ce qu'ils font!» (très fréquent).

 

        Elle est en communion avec la Vierge mystiquement unie à l'Eglise:

«Jésus, bénissez la sainte Eglise, votre sainte Mère» (CF p.80).

Sa passion se dit dans le Notre Père donné par Jésus à l'Eglise (CF p.121).

Elle se dit aussi dans le Canon I de la messe (CF p.58).

Marie est en permanence (multiples références) trait d'union entre Marthe et Jésus.

        Elle offre ses souffrances pour:

Les pécheurs ou «son pécheur» (comme Thérèse de l'Enfant-Jésus, très fréquent).

Les prêtres (à chaque fois).

Son père spirituel, le Père Faure (souvent).

La paroisse (dont on suit les initiatives, l'école, les fêtes, l'action catholique) à travers le ministère du Père Faure.

Sa famille peu pratiquante (CF p.117), les «foyers» (familles) de la paroisse, les enfants.

L'Eglise, le pape.

        Elle porte les stigmates:

Sueurs de sang (qu'un médecin aujourd'hui pourrait attribuer aux angoisses, sur un terrain dénutri et de grande sensibilité).

Elle demande à Dieu que cela lui soit épargné (CF p.50; p.52) (comme dans le Journal).

Le Père Faure les mentionne sous toutes les formes. Ces sueurs de sang sont signes et pas seulement symptômes, quand elles sont localisées à la couronne d'épines ou au cœur, ce qui arrive souvent à Marthe. Mais, le Père Faure note les autres formes: joues et yeux, ainsi que leur absence (CF p.127; p.136; p.137; p.138; p.141; p.146; p.147; p.150).

        Elle est affrontée à Satan:

Il est chassé (CF p.44; p.62; p.105; p.140; p.159; p.160)...

... avec une formule d'exorcisme trinitaire de l'Eglise, efficace au point qu'elle peut se moquer de la lâcheté du diable qui a perdu (CF p.45).

        Elle participe à la Rédemption:

        Marthe a, pendant toutes ses années de maladie, depuis qu'elle les a unies à la Croix, cherché le sens que pouvaient avoir ses souffrances dans la Rédemption. Toutes les solutions sont envisagées et essayées: elle troque, elle échange, elle prend sur elle le péché, elle prend sur elle l'enfer, le purgatoire, l'équité («ce que vous faites pour moi, faites-le aussi pour les autres»), elle marchande son propre pardon avec le pardon des autres; toutes les formes de la Rédemption envisagées par l'Eglise sont reprises par elle. Il y a de quoi faire un traité de la Rédemption:

Elle veut être «broyée» (saint Ignace d'Antioche) (CF p.49; p.51; p.84).

Elle s'offre en «échange» (CF p.92s.).

Elle veut «entrer dans l'enfer» (CF p.107; p.155).

«entrer dans le purgatoire» (CF p.145).

Elle prie: «Que je meure pour qu'ils vivent» – Thérèse d'Avila disait: «Que je meure afin de ne pas mourir» – (CF p.119); «Que je meure, pour que d'innombrables cœurs se donnent à vous sans retour» (CF p.133).

 

        C'est vraiment son bien propre, sa relation toute particulière avec le Christ et sa Mère, sans autre interférence avec l'extérieur que le témoin désintéressé et scrupuleux qui, par obéissance à son évêque, relève ce qu'il voit et entend.

 

La personnalité spirituelle de Marthe dans le Journal:

        Avec le Journal que vous avez entre les mains, nous avons non pas un langage semi-conscient relevé au cours d'expériences mystiques prises sur le vif, mais un langage de méditations conscientes et réfléchies qui font mémoire de ces expériences préliminaires au Récit de la Passion. Ce Journal commence en 1929, au lendemain de la mission donnée par les capucins (décembre 1928) qui recommandent à Marthe la lecture d’ouvrages qui lui permettront de nourrir ses expériences spirituelles. C'est seulement quatre ans après que le Père Faure rendra compte systématiquement des passions que Marthe vivait peut-être déjà depuis un certain temps sans qu'il le sache ou ait reçu mission de les transcrire. On a donc, avec le Journal de Marthe, des méditations qui commencent à être écrites trois années avant les Carnets du Père Faure. On ne s’étonnera pas d’y trouver le fruit des lectures spirituelles que les capucins lui ont recommandé de faire. Il ne faudrait donc pas conclure, du fait que le texte du Journal de Marthe contient des réminiscences aux lectures mystiques qu’elle a faites, qu’il n’y a pas chez elle une véritable inspiration du ciel. Comme disent les chercheurs en exégèse, «mieux connaître les conditions d’écriture d’un texte ne retire rien au fait qu’il puisse être révélé par le ciel». Certains modernes lui reprocheront de ne pas citer ses sources, comme le fait tout bon universitaire dans ses publications. Mais c’est oublier que Marthe n’a jamais pensé, en composant ses méditations, que ses œuvres seraient publiées. Elle compose pour son curé, et son Journal n'a été découvert qu’après sa mort.

        Jusqu’en février 1929, Marthe peut encore écrire. C’est alors qu’elle est atteinte d’une crise de tétraplégie qui lui ôte progressivement l’usage de l’écriture (sauf durant d’éventuelles périodes de rémission). Le Journal commence en décembre 1929. C’est l’année suivante (le 21 avril 1930) qu’elle choisit «le Sacré-Cœur de Jésus en croix» pour sa «demeure inviolable», après une première ébauche de formulation, le 22 janvier de la même année.

 

Les sources:

        Les sources auxquelles nous avons accès permettent déjà d’ébaucher une grammaire des citations ou références à auteurs qui jalonnent le Journal de Marthe.

        Marthe a lu Consummata, Gemma Galgani, Madeleine Sémer, Véronique Giuliani et Thérèse de Lisieux. Elle s’en est imprégnée si profondément qu’on sent ces parentés spirituelles à toutes les pages. Marthe a aussi envisagé la vocation carmélitaine. Il est normal qu’elle se soit composé ou ait mémorisé un florilège des plus belles expressions de ses devancières dans cette vocation. Cette première recherche des réminiscences ne couvre pas les multiples opuscules de piété s’inspirant des grands auteurs ou les revues spirituelles, que Marthe a pu trouver dans sa paroisse ou qu'on a pu lui prêter.

1. Elle utilise des expressions marquantes d’un auteur (ou topoi: lieux communs) Ex: Elle reprend à Consummata (p.236): «une belle carrière apostolique» (après la mort), comme on reprend à Thérèse «pluie de roses» pour parler de l’au-delà. Autre exemple: Marthe reprend à Thérèse «nager dans les consolations» (HA p.2081), ou encore «emparadiser le cœur» à Véronique Giuliani (PR p.141). Autre exemple: «ce Père plus doux qu’une mère», expression peu commune à l’époque (MS p.258). «Jouir par amour» (HA p.218).

2. Généralement, ces formules spirituelles qui peuvent parfois être reprises à plusieurs auteurs qui les utilisent, se trouvent dans les opuscules de piété d’alors ou sont rangées par thèmes dans la mémoire de tous les chrétiens (par exemple: «Marie, modèle si complet et si imitable», expression reprise par Marthe à Consummata et Grignion de Montfort et alibi). Dans: «son amour m’a comblée de bien», faut-il voir le Magnificat? Thérèse de l’Enfant-Jésus? Bernadette?... Il faut y ajouter des formules se référant au désir de vie carmélitaine de Marthe; exemple: «mon cloître, c’est ma sainte Trinité».

3. Il arrive qu’elle reprenne, en les personnalisant par des variantes ou des gloses (commentaires), des expressions tirées d’expériences mystiques qu’elle s’appropriepar voie de communication»; «suspension des puissances»). Cf. «vos clous, je les veux dans mes mains» repris à une expérience décrite de Véronique Giuliani (PR p.36) et complétée par «croix donnée en dot» chez le même auteur (PR p.153). «Avant, j’allais dans la foi, mais maintenant c’est la réalité, c’est l’expérience» (cf. MS p.232).

4. Parfois, une phrase qui l’a marquée et est devenue un soutien spirituel ou d’édification, est gardée intégralement ou par bribes; exemple: «Je ne sais plus rien demander avec ardeur, excepté l’accomplissement parfait de la volonté de Dieu sur mon âme» (Ms A fol. 83r; cf. Journal, 4décembre 1931). Elle a de la difficulté à lire et se conforte avec Véronique Giuliani, PR p.210: «Rejette tout livre... c’est moi ton unique flambeau» (cf. Journal, 20 octobre 1931). «J’en suis venue à ne plus pouvoir souffrir parce que toute souffrance m’est douce» (Novissima Verba p.21).

5. Elle peut aussi appuyer le soutien spirituel sur un patchwork de réminiscences éparses, à distance, voire dans un ordre inversé ou citées librement, voire glosées chez le même auteur de référence (rassemblées dans sa mémoire ou par des reprises de notes thématiques, cf. ci-dessous n°16).

6. Le patchwork peut être tiré de plusieurs auteurs, ou d’un auteur citant un autre auteur (sœur Marie Saint-Anselme, citée dans Madeleine Sémer: Journal, 16 janvier 1932).

7. Parfois, la citation de Marthe glose l’auteur avec des omissions, des inserts poétiques (fleurs etc.) ou personnels. Parfois ces inserts peuvent être développés mais difficilement identifiables. Elle a des inserts favoris (par ex: les prêtres) qui précisent sa propre expérience spirituelle. Il arrive qu’elle cite elle-même sa source tout en la glosant. On comprend alors mieux sa manière de personnaliser ses sources.

8. Marthe cite lointainement un auteur qu’elle reprend de manière libre. Quelques mots se ressemblent avec des termes personnalisés ou des omissions. Elle le fait parfois avec une mémorisation défectueuse (exemple: Regina martyrum chez Consummata devient virginum martyrum qui n’a pas de sens en latin, Journal 11 octobre 1931).

9. Parfois, il y a reprise d’un même flash ou soutien spirituel, mais dans un changement de personne. L’appropriation réside dans ce changement de personne. Il peut s’agir d’une description à la troisième personne là où on trouvait chez l’auteur comme un dialogue mystique à la première personne. Exemple: Jésus s’adresse à Véronique Giuliani en disant: «Les grâces que je te fais [...] pour la gloire de mon Nom, pour l’honneur de ma passion, pour la confirmation de la foi, pour le salut des âmes» devient chez Marthe: «J’abandonne à Dieu les fruits de mes prières et souffrances pour la gloire de son Nom, pour l’honneur de sa Passion, pour la confirmation de la foi et le triomphe de l’Amour.» (Journal, 3octobre 1931)

 

        Il en sera différemment à la fin du Journal quand Marthe a besoin devant son père spirituel d’appuyer ses expériences mystiques sur celles de ses devancières; les citations deviennent alors de véritables tuteurs:

10. L’espace du texte du jour est à 90% fait de références à des auteurs.

11. Une expérience spirituelle reprise de manière démantelée (inversion de phrases dans un même paragraphe).

12. Reprise partielle de mots, mais dérive vers une autre expérience que celle de l’auteur de référence. Ex: (Mon cœur) «m’ennuie beaucoup en me contraignant à me tenir assise dans mon lit; et le lit tremble aussi» chez GEM p.171s devient: (Mon cœur) «m’ennuie beaucoup en me contraignant sans cesse à fermer la bouche. Tout mon corps tremble» (Journal, 19 juin 1932). Autre exemple: «J’aime le Carmel» chez Consummata, est remplacé par «J’aime la souffrance» (Journal, 11 août 1932).

13. Reprise de l’expérience avec appel à témoin (exprimé, supprimé ou par défaut) du père spirituel chez Marthe.

14. Reprise de l’expérience glosée sur fond de nouveau Testament. Il arrive alors qu’elle infléchisse les extrapolations de son auteur de référence pour rester plus près de l’Ecriture en se servant parfois d’un autre auteur. Ex: L’auteur ajoute une neuvième béatitude et Marthe la remplace par un commentaire des béatitudes qui lui est cher, repris tel quel (cf. texte non daté à la fin du Journal).

15. Reprise de l’auteur de référence, avec citation mot à mot de la formulation en langage dogmatique. Exemple: «Trinité dans l’unité, unité dans la Trinité. [...] Unique est l’essence de cette Trinité.» (Journal, 7 juillet 1932)

16. Reprise longue presque mot à mot (y compris citations latines) de l’auteur de référence exprimant sa spiritualité ou son expérience spirituelle. (Ces notes précises, rangées thématiquement, bien que très distantes chez l’auteur de référence, ont pu être regroupées dans des patchworks de textes illustrant un même thème. Si elles n’ont pas été conservées, c’est que Marthe peut-être les aurait déchirées après s'en être servie.)

17. Reprise presque mot à mot de l’auteur de référence citant lui-même sa source scripturaire ou spirituelle: citation de Newman dans MS reprise par Marthe.

18. On peut aussi trouver une copie d’auteur avec une glose tirée du nouveau Testament.

19. Copie faite presque mot à mot, mais défectueuse à cause d’une prise de notes incomplète. Exemple: l’auteur de référence cite saint Stanislas. Marthe ne l’a pas noté et parle d’un saint sans précision.

20. Il existe aussi de vraies citations d’auteur avec guillemets.

 

Le langage mystique juxtapose les contrastes jusqu’à l’inconciliable:

 

        Il faut maintenant relever une autre caractéristique du langage mystique si on ne veut pas faire d’erreurs d’interprétation. Par définition, le mystique rend compte d’expériences qui le dépassent. Et pour bien montrer que cette vision le dépasse, il utilise des mots en leur donnant une portée allant excessivement dans un sens puis dans l’autre.

        Regardez comment sont rapportées les expériences du Ressuscité. Il apparaît à Marie-Madeleine qui le prend pour le jardinier. Il l’appelle par son nom, elle le reconnaît. Mais quand elle le reconnaît comme avant, elle ne peut plus le toucher. Les contrastes sont accumulés pour exprimer que ce qui se passe dépasse la compréhension. Autre exemple: Jésus entre au Cénacle toutes portes fermées. C’est un fantôme! Mais il mange avec les disciples. Un fantôme ne mange pas! Et il ressort toutes portes fermées etc... Le nouveau Testament est familier de ce procédé: on y trouve l’enfer où il y aura «des pleurs et des grincements de dents» et en même temps la miséricorde du Père qui «remet toute sa dette» à son débiteur, même la dette pharaonique de «10.000 talents».

        Prenons encore une fois un exemple dans notre nouveau Testament, tiré de l’épître aux Hébreux (He 12.18ss): «Vous ne vous êtes pas approchés d’une réalité palpable, feu qui s’est consumé, obscurité, ténèbres, ouragan, son de trompette et bruits de voix; ceux qui lentendirent refusèrent d’écouter davantage la parole. Et si terrifiant était ce spectacle que Moïse dit: je suis terrifié et tremblant». Le langage mystique de l’auteur nous transporte en un Sinaï terrifiant. Mais il poursuit: «Vous vous êtes rapprochés de la montagne de Sion et de la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, et des myriades d’anges en réunion de fête, et de l’assemblée des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux». Le langage mystique transporte cette fois le Sinaï, non plus dans un lieu terrifiant, mais dans le ciel. On le voit, pour parler de réalités qui dépassent l’homme, l’auteur emploie un vocabulaire aux extrêmes, pour bien montrer que la réalité, comme il le dit en entrée de la citation, dépasse l’entendement. C’est donc aussi, pour lui, une manière de se désapproprier de toute prétention à cerner le mystère. Il en va de même dans le langage des mystiques.

        Marthe est submergée par la souffrance et elle le dit dans un langage parfois terrifiant. Mais elle est aussi comblée par la grâce au prorata même de sa souffrance offerte. Elle le chante alors dans un langage aux extrêmes, là encore, mais non plus dans le sens de l’enfer, mais du ciel. Elle parle en noir et en blanc, jamais en gris. Elle tente de dire l’extrême et accumule des termes de totalité (ces termes abondent dans le Journal). Devant cet éventail allant de l’extrême souffrance à l’extrême bonheur, le lecteur qui ne prend pas garde à l’ensemble peut se servir à la carte dans un registre ou dans l’autre. Il prend, à sa guise, tout ce qui peut combler ses exaltations survoltées ou au contraire ses goûts morbides, et peut justifier son choix par des citations qui viennent authentiquement de Marthe.

        Certains pourraient même être tentés de fermer le livre à force de n’y voir que du noir. Marthe serait alors accusée de tendances masochistes! Elle n’est heureuse que quand elle reçoit des coups! Oh, bien sûr, le bon Dieu peut faire une sainte avec une malade, mais ce n’est pas pour moi! Et on ferme le livre sans aller plus loin.

        D’autres ferment le livre à force de n’y voir que du blanc. C’est de la fuite en avant. Quand rien ne va plus, on pratique la méthode Coué avec les anges. Sa mystique n’est que la sublimation de sa souffrance. Que voulez-vous! arrangée comme elle était, elle n’avait plus d’autre échappatoire! On comprend que Dieu puisse faire des saints avec une malade, mais ce n’est pas pour moi.

        Enfin, il y en a qui ont trouvé: Marthe était une cyclothymique. Une fois à la cave et le lendemain au grenier. Voilà ce qui explique le blanc trop blanc et le noir trop noir. Il est vrai que de nombreux artistes sont cyclothymiques. Et Dieu peut faire des saints avec des artistes et des cyclothymiques. Mais ce n’est pas pour moi.

        Il me semble que les uns comme les autres, à faire du gris anthropologique (c’est l’homme qui explique tout), passent à côté de ce qu’est la conscience mystique. Même si on ne veut pas tout expliquer (ça ne prend plus aujourd’hui), on choisit, entre le blanc optimiste de Marthe et le noir de sa douleur, un gris mitoyen. Mais c’est, là encore, passer à côté de l’essentiel. Car le langage mystique ne raisonne généralement pas dans le langage pondéré de l’analogie, mais par juxtaposition d’extrêmes opposés. Expliquons-nous:

        Dans l’analogie, on apprécie la distance entre le modèle et l’image qui en rend compte, en les considérant sur une ligne droite dont on maîtriserait la plus ou moins grande proximité avec le modèle. L’image, bien que du même ordre que le modèle, ne l’atteint pas. Elle n’est qu’analogique. C’est une approche bien rationnelle et bien grecque de la vérité. La Bible et le mystique, ne voulant pas enfermer Dieu, s’expriment par juxtaposition d’inconciliables. Dans la juxtaposition, les prises de vue sont d’origines différentes. Elles peuvent ne pas être du même ordre. Elles sont focalisées en direction du modèle. On se contente de dire: «Ceci et cela (qui peut être contradictoire) sont paroles du Dieu vivant1» et on se tait sans chercher à étalonner la plus ou moins grande proximité de chaque expression avec le modèle.

        Pour prendre une image: l’analogie monte les degrés de l’inatteignable sur une seule échelle; chaque barreau est analogique du suivant. La juxtaposition monte ces degrés sur plusieurs échelles juxtaposées qui ne se rejoignent que dans le ciel. Celui qui veut y monter avoue bien vite son impuissance à faire le grand écart2. Mais il sait que le haut des deux échelles se rejoint dans le ciel.

        Prenons quelques exemples:

        Nous ne pouvons explorer toutes les thématiques où ce vocabulaire en juxtaposition se déploie. Ce sera le travail des chercheurs. Mais à titre d’exemple, nous choisissons le thème de la souffrance qui est, avec l’abandon à la volonté divine, l’eucharistie et les prêtres, un des thèmes majeurs de sa pensée:

        Dans le premier cahier, Marthe décrit l’arrivée de sa souffrance et son incompréhension, voire sa révolte. Dans le deuxième cahier, un changement de ton se produit. Avec le choix qu’elle fait du «Sacré-Cœur de Jésus en croix» pour sa «demeure inviolable» (21 avril 1930), sa souffrance est comme assumée par l’abandon qu’elle lui en fait, pour lui être associée dans le salut des pécheurs. Dans le troisième cahier, nous entrons, avec probablement l’apparition des stigmates, dans le langage mystique proprement dit. Le Vendredi saint suivant (25 mars 1932), la méditation suit beaucoup plus la Passion du Sauveur et on rencontre les expressions juxtaposées dont nous avons parlé et qui, apparemment contradictoires, obligent à trouver plus haut leur synthèse. Prenons quelques exemples dans ce troisième cahier.

        Le 26 janvier 1932, elle écrit:

        «Cette véritable configuration en la ressemblance du sacrifice de Jésus crucifié qui s’est faite par un mystique embrasement de l’amour divin, me laisse fort heureusement sans marques extérieures». Sont exprimés dans la même phrase la souffrance extrême bien qu’invisible et l’amour non moins extrême.

        Le 2 février 1932:

        «Mon cœur est tellement dilaté par l’amour […] à la pensée de tout ce que ce Maître adoré a fait pour nous, […] que j’ai peur […] d’être soudain saisie, entraînée par une force irrésistible. Ce qui m’arrête, c’est bien cela: j’ai peur du ravissement.»

        Et le 7 février 1932: «Plus de douleur dans plus d’amour, et dans quel abandon!»

        «Qu’il est bon de vivre au-dessus de sa souffrance et comme hors de soi. De jouir et… de souffrir de Jésus.»

        Le 11 mars 1932:

        Elle dit: «Joies trempées dans le sang bien plus que dans les douceurs du miel, de ces mêmes joies qui habitaient dans le cœur de la grande victime du Calvaire lorsqu’elle s’enivrait de la douleur qui lui coûtait la vie pour sauver le monde.»

        Le 25 mars 1932 (Vendredi saint), elle dit:

        «Vouloir la croix, étreindre la croix, baiser la croix, souffrir en croix, c’est jouir en Jésus seul, [...] de tout l’amour dont mon âme a tant soif.»

        «Si Jésus se fait bourreau quelquefois (c’est lui qui s’est nommé ainsi à moi), il montre qu’il ne l’est que par plénitude d’amour, que pour redevenir l’ami très doux.»

    Et plus loin, le même jour: «Aux grâces immenses de Dieu, il faut une part immense de souffrance. De l’amour! Rien que de lamour! Cest ça mourir, monter à chaque instant plus haut, se laisser consumer par l’amour jusqu’à ne plus pouvoir en vivre.»

        «Il n’y a que l’Amour qui puisse faire souffrir à ce point! Vivre cest souffrir, car partout où lon vit par amour, on vit de la souffrance. J’accepte encore la vie, j’accepte la souffrance, je ne veux d’autre couche que la croix.»

        Lundi de Pâques 1932:

        «Je ne sais si en ce moment, je pourrais souffrir plus… mais je ne voudrais pas moins souffrir. Je brûle, je saigne; cest la croix sanglante, torturante; je veux tout ce qu’il veut. La souffrance est la réponse de l’amour, elle en est aussi la récompense. Vivre crucifiée, c’est vivre en beauté. Je surabonde de souffrances, mais mon âme surabonde de joies dans toutes ses tribulations.»

        «Rien n’élève et ne purifie, rien ne grandit et ne sanctifie comme le baiser sacré de la douleur.»

        Mardi de Pâques 1932:

        «Qu’importe de pleurer quand on aime!»

        «Augmentez mon amour afin que je sache féconder ce grand don de la souffrance que vous m’avez confié.»

        «Mes souffrances sont physiques, elles sont morales, elles sont plus encore cet amour consumant, cet amour de feu et de folie, ce supplice tout divin, parce que si pleinement délicieux.»

    Le 14 avril 1932:

        «Il faut vraiment un amour fou de la part du Seigneur pour permettre que la souffrance, tourment pour l’être, devienne à l’âme un supplice ineffable, une incompréhensible jouissance.»

    11 mai 1932:

        «Je meurs d’aimer et je revis par l’amour. Je me demande quelquefois si j’aurais le courage de ne rien choisir si Dieu me laissait la liberté de mourir.»

        Tous ces textes nous mènent au bord du mystère par la juxtaposition de leurs expressions de l’extrême.

        Marthe écrit le blanc extrême et le noir extrême, l’un après l’autre. Elle juxtapose, comme font tous les mystiques, pour nous faire pressentir ce sommet vers lequel elle tend et qui est à la fois horreur de l’enfer et désir du ciel. Le lecteur aura donc le choix dans les textes de Marthe entre deux options:

  Il veut monter à la suite de Marthe au sommet où il se sent lui aussi appelé. Il peut prendre un peu à droite et un peu à gauche de l’éventail des expressions utilisées par Marthe et ramener tout sur une seule échelle, de manière à avoir du gris à sa convenance. Mais dans ce cas, il faut qu’il sache que ce gris est sa vision à lui, bien légitime, mais qui n’est qu’analogique par rapport à ce que Marthe reçoit dans ses expériences mystiques et il ne peut appuyer sa construction de gris sur les dires de Marthe. Chaque barreau de l’échelle unique qu’il gravit résulte de son propre choix.

  Il peut évidemment aller plus loin, se laisser dépayser et choisir de garder les deux échelles. Il lira les expressions de Marthe en les gardant juxtaposées. Il ne peut plus alors faire sa synthèse (un gris entre le noir et le blanc) et est obligé de se tourner avec Marthe vers le ciel en reconnaissant que Dieu, dans le noir comme dans le blanc, dans son expérience de l’enfer comme dans son expérience du ciel, est plus grand que notre cœur. Il peut alors s’appuyer sur les écrits de Marthe en prenant bien soin de toujours rapporter le noir en même temps que le blanc.

        Marthe, dans les écrits de la Passion, ramène toujours son lecteur aux écrits de l’Evangile. C’est vers eux qu’il faut nous tourner pour conclure. À tenter de pénétrer la pensée de Marthe qui juxtapose supplice ineffable et incompréhensible jouissance, nous pourrions comprendre que la Résurrection du Christ s’est faite sur la croix elle-même, dans cet amour extrême qui était tout à la fois sa mort pour le pardon des pécheurs et sa résurrection. Autrement, comment pourrions-nous comprendre qu’il ait pu dire au bon larron: «Dès aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis»? L’amour n’attend pas le constat des trois jours qui certifient la mort pour renaître à la vie et la donner à profusion au pécheur: «Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font». Marthe, elle aussi, a supplié toute sa vie avec le Christ en croix lorsqu’elle vivait ensemble la souffrance extrême et l’amour extrême. Qu’elle nous emmène dans la Vie où l’attend son Bien-aimé.

        Il resterait à faire la même méditation pour toutes les autres thématiques.

Père Jacques Bernard

exégète et docteur en théologie,

Université catholique de Lille.

 

Description des cahiers :

 

        Le premier cahier du Journal1 est broché, recouvert d’un papier Kraft. De l’avis de graphologues consultés, ce cahier serait écrit de la main de Marthe, sauf les p.3-7, écrites par le P. Faure («Les 16 diamants pour atteindre la plus haute perfection» et «Conseils pour avancer dans la voie de la perfection»). Il a été retrouvé dans la chambre de Marthe. Il est écrit jusqu’à la dernière page.

        L’époque de l’écriture de ce cahier (décembre 1929 – avril 1930) correspondrait donc à une période de rémission de la maladie de Marthe. Nous en trouvons des échos dans le texte lui-même, lorsque Marthe dit, après une expérience mystique: «Seul Jésus sait l’extrême violence que j’ai dû me faire pour en écrire quelques lignes» (12 mars 1930). A cette époque, il semble que Marthe soit aussi en mesure de broder, puisqu’elle dit, le 10 mars 1930: «J’ai dans mon âme le pressentiment de grandes douleurs à venir!... Faudra-t-il donc pour toujours labandonner, mon cher travail de couture?» Nous savons par ailleurs que son père, dans les années trente, lui avait installé un petit écritoire posé sur son lit pour lui faciliter lecture et écriture.

        Vers la fin du cahier, on remarque parfois comme une gêne dans le tracé des lettres en bas de page ou une difficulté à séparer les mots2. Le cahier suivant n’est pas écrit par elle.

        Le deuxième cahier du Journal3 a une couverture cartonnée. C’est le Père Faure qui a commencé de l’écrire, avec le texte «Aux âmes chrétiennes pour la gloire de Dieu» (p.1 à 27). Puis Mme Perrossier4 (p.29 à 67), puis Mlle Plantevin5 (p.67 à 99). Le Père Faure reprend et termine le cahier (p.99 à 236). Le cahier est écrit jusqu’à la dernière page, et le Père Faure le conclut avec l’abréviation A. M. D. G. (ad majorem Dei gloriam: pour la plus grande gloire de Dieu). Ce cahier a été retrouvé dans la chambre de Marthe, empaqueté avec les 4 petits agendas du Père Faure.

        Ce deuxième cahier est intéressant, car il porte les traces d’un vrai travail d’édition: le Père Faure a corrigé le texte en maints endroits, à l’encre marron ou à la mine violette. Il signalait dans la marge les passages qu’il ne comprenait pas, par un petit trait horizontal, et lorsqu’il avait résolu la difficulté, il transformait le trait horizontal en petite croix. Au dos de la couverture, il a noté: «Revoir pour correction page 219». Et la page 219 témoigne de corrections à la mine violette. Au dos de la couverture, il s’était aussi fabriqué un petit index en marquant des passages qu’il devait reprendre ou qui l’intéressaient1. Son travail d’édition n’était pas détaché de sa méditation de pasteur.

        Le troisième cahier du Journal2 a lui aussi une couverture cartonnée, recouverte d’un papier bleu. De l’avis de graphologues consultés, ce cahier serait lui aussi écrit de la main de Marthe. Il a été retrouvé dans sa chambre. A la fin, il reste 4 pages vierges.

        L'écriture du premier et du troisième cahier, que des graphologues ont déclaré pouvoir être celle de Marthe, est petite et fine. Elle court sur chaque ligne. Parfois, une ligne est sautée, pour marquer un peu plus un paragraphe. Une marge de quatre carreaux est laissée sur la gauche, mais les lignes sont remplies jusqu’au bout, quitte à ce qu’un trait un peu plus long se termine sur le feuillet suivant qui dépasse.

        Marthe se relit, comme l’indiquent les nombreuses ratures et les ajouts interlinéaires. Bien souvent aussi, des passages ont été réécrits sur un texte gommé, ce qui ne facilite pas la lecture.

        Souvent, un mot manque, comme si la pensée allait plus vite que l’écriture. C’est le plus souvent un article, une préposition, un «que» ou le verbe être. Nous les avons complétés en les indiquant par des crochets pointus (< >), lorsque le sens ne laissait aucun doute.

        En bout de ligne, il arrive souvent aussi que la ponctuation soit omise, même des virgules à l'intérieur d'une énumération.

        Les fautes d’orthographe les plus fréquentes sont des fautes d’accord. Marthe confond aussi fréquemment et / ait / est, ainsi que les formes du futur et du conditionnel [-rai / -rais]. L’emploi des prépositions est parfois flottant, et nous nous sommes permis de rétablir l’usage correct lorsque la compréhension était trop entravée, toujours en l’indiquant en note.

        La langue est riche et nuancée. Elle est étonnante par le mélange de mots savants (bien souvent écrits correctement) et d’une syntaxe qui est souvent celle d'une langue orale ou familière (inversions, anacoluthes, omission du ne dans ne ... que ou ne ... pas, ...). Marthe utilise aussi parfois des tournures ou des expressions locales.

        La plupart des textes sont datés. La date est généralement placée à la fin du texte. Mais certains textes semblent avoir été prolongés par un ou deux paragraphes après la date. Marthe a ensuite conclu avec un trait horizontal. Vers la fin du premier cahier, plusieurs paragraphes («Effets de la méditation»), séparés par des traits, ne portent pas de date. Faut-il tous les rapporter à la date précédente (4 avril 1930)? Le texte suivant est daté du 5 avril 1930.

Sophie Guex

docteur ès lettres,

Foyer de Charité de Châteauneuf de Galaure.

 

Pour aider le lecteur

 

        Comment allons-nous procéder dans cette édition, pour tenir compte de toutes les données connues et faire que la lecture soit à la fois nourrissante et guidée?

        Le texte de Marthe est donné, le plus fidèlement possible, jusqu’à respecter parfois dans le texte le français local que Marthe partageait avec ses voisins. Si une correction a été faite pour éviter une lecture aventureuse, le texte original avec ses fautes est laissé tel quel en note. Il est important que le lecteur ait un texte bien établi dont il puisse toujours reconstituer l’original (en note ou dans le texte).

        Pour une lecture facilitée sur les terminaux informatiques (ordinateurs, tablettes, smartphone,…) les points d’attention au texte ne sont pas indiqués dans la version numérique du journal. Vous pouvez vous référer pour cela à l’édition papier.

        Les notes littéraires ou biographiques (notées 1, 2, 3 dans l’édition papier) ne prétendent pas à l’exhaustivité. Celles qui ont été retenue pour l’édition numériques sont présentes sous forme « d’info-bulles » disponibles avec un dispositif de pointage (souris, stylet ou doigt sur les surfaces tactiles). Ces notes visent à ouvrir des portes à des recherches ultérieures.

        Le texte proposé pour la version numérique du Journal et un texte corrigé pour faciliter la lecture. Il n’indique par les mots ajoutés pour la compréhension du texte (ceux-ci sont placés entre crochets pointus (<  >) dans l’édition papier). De même, les mots estimés correspondre à des fautes de français ou en trop qui étaient mis entre crochets droits [  ] dans l’édition papier ne sont pas présents dans l’édition numérique.

        Les passages contenant une réminiscence littéraire sont surlignés en bleu clair et pointent grâce à un hypertexte sur la source originale qui a inspirée Marthe.

        Marthe cite souvent l'Ecriture (en particulier l'Evangile et les lettres de saint Paul). Comme pour l’édition papier, nous nous sommes limités à indiquer quelques références scripturaires, laissant à une recherche plus approfondie le soin d'étudier la manière dont Marthe cite ou amalgame parfois plusieurs versets. Un index biblique présent en fin du journal numérique permet d’accéder, d’un part au passage du Journal ou des versets sont cités, et d’autre part, la version numérique donne aussi accès texte de l’Ecriture dans une traduction courante. Les versets cités sont repérés par un surlignage rosé.

        Un index par date permet d’accéder directement au passage du Journal pour une date donnée. Une petite flèche précédant la date ( ^25/12/1929 ) rappelle que celle-ci se rapporte au texte placé avant.

 

Editions utilisées et abréviations:

        Consummata: Lettres de «Consummata» à une carmélite; Marie de la Trinité (1931). Livre ayant appartenu à la bibliothèque paroissiale de Châteauneuf de Galaure.

        Louis Chardon, La Croix de Jésus. Nouvelle édition; introduction par le R.P. F. Florand (Paris, le Cerf, 1937).

        GEM: R.P. Germain de Saint Stanislas, La séraphique vierge de Lucques, Gemma Galgani (1878 – 1903) (adapté de l’italien par le R.P. Félix de Jésus crucifié), Arras, Tonneins 1910.

        HA: Sainte Thérèse de l’enfant-Jésus, Histoire d’une âme (Lisieux, Bar-le-Duc, après 1925). Les équivalences ont été données dans l’édition des œuvres complètes (Cerf 1992).

        Imitation: Imitation de Notre-Seigneur Jésus Christ.

        Livre de l'Amour miséricordieux (Arras, 1934).

        MS: Ab. Félix Klein, Madeleine Sémer, convertie et mystique (1874 - 1921), Paris 1923.

        PR: P. Désiré des Planches, La Passion Renouvelée ou Sainte Véronique Giuliani (Paris 1927).